Carboneutralité et copropriétés : comprendre les contraintes
Condoliaison
Règlement sur la divulgation et la cotation des émissions de gaz à effet de serre des grands bâtiments
Dans le prolongement de son engagement dans le cadre du One Planet Charter (2018), dont elle est signataire, la Ville de Montréal dévoilait en décembre 2020 son plan d’action afin de contrer les perturbations engendrées par les changements climatiques. Guidées par l’ambition d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, les interventions détaillées dans le Plan climat 2020-2030 visent une réduction de 55 % des émissions de gaz à effets de serre (GES) sur le territoire montréalais, par rapport à leur niveau de 1990. Un objectif audacieux, représentatif de l’urgence de la situation actuelle, à l’échelle mondiale.
Mobilisant l’ensemble de la communauté urbaine, le Plan climat identifie cinq chantiers fondamentaux de transition, dont l’un concerne la consommation énergétique des grands bâtiments. La Ville veut non seulement favoriser une plus grande efficacité énergétique des bâtiments, mais aussi réduire l’utilisation du gaz naturel de source fossile, en plus d’éliminer l’utilisation du mazout pour le chauffage. Le carburant des véhicules et le chauffage des bâtiments comptent en effet parmi les plus importantes sources d’émission de GES – le secteur immobilier représentant à lui seul près de 28 % des GES émis dans la région métropolitaine[1]. En vue d’obtenir un portrait des dépenses en énergies fossiles de l'immobilier, la Ville a donc adopté le Règlement sur la divulgation et la cotation des émissions de gaz à effet de serre des grands bâtiments (21-042), dont l’objectif principal est d’établir un recensement des émissions actuelles, comme source d’information pour les programmes et politiques nécessaires pour atteindre la cible 2050. Une initiative louable, certes, mais que représente-t-elle concrètement pour les copropriétaires et syndicats de copropriétaires ?
Quelles responsabilités et obligations pour les propriétaires ?
Entré en vigueur le 27 septembre 2021, ce règlement requiert des propriétaires de bâtiments à grande surface qu’ils déposent l’ensemble des données concernant leur consommation énergétique pour l’année précédente, via le portail en ligne Energy Star conçu à cet effet, ou en complétant le formulaire de saisie des données de la Ville, au plus tard le 30 juin de chaque année. La mise en œuvre du règlement est scindée en trois phases. La première visait les bâtiments d’une superficie de plancher supérieure à 15 000 m², depuis le 1er janvier 2022. La seconde phase du règlement, applicable depuis le 1er janvier 2023, ajoute les bâtiments de 5 000 m² (ou 50 logements et plus). Elle sera suivie d’une dernière phase, pour inclure les bâtiments de 2 000 m² (ou 25 logements et plus), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024.
En vertu de ce règlement, la Ville exige que soient divulgués :
- Les sources d’énergie consommée (électricité, gaz naturel, etc.) ;
- Les coûts et les dates de livraison des sources d’énergie, telles que le kérosène, le mazout et le diésel ;
- La demande de puissance électrique par période de facturation ;
- Pour les immeubles alimentés par un réseau thermique urbain, le nom du fournisseur.
Une fois recueillies, ces informations devraient permettre d’établir le rendement énergétique de chacun des bâtiments, lesquels recevront une cote visant à déterminer leur efficacité à ce sujet. Ces renseignements seront ensuite rendus publics sur le site Web de la Ville (notamment l’adresse du bâtiment et sa cote) et devront être affichés sur les lieux.
Une approche qui ne tient pas compte de la particularité des copropriétés
Si la municipalité voit dans son règlement un processus aisément accessible et avantageux, il n’en va pas de même pour les syndicats de copropriétaires. D’emblée, le système de collecte d’informations proposé exige une seule déclaration par bâtiment, peu importe qu’il s’agisse d’une résidence, d’un immeuble à logements ou d’une copropriété.
Le règlement définit un « propriétaire » comme étant « toute personne physique ou morale, société, et, dans le cas d’une copropriété divise, tout syndicat de copropriétaires qui détient en tout ou en partie, un droit de propriété dans un bâtiment »[2]. Or, un syndicat de copropriétaires ne détient pas, sauf pour de rares exceptions, un quelconque droit de propriété dans l’immeuble. Ce serait le cas, par exemple, des syndicats qui sont propriétaires d’une unité privative destinée à loger le concierge de l’immeuble. Faut-il en déduire que seules ces copropriétés sont visées par ce règlement, alors que plus de 95% ou 97% des copropriétés ne sont aucunement visées par ce règlement?
Le syndicat est responsable de la gestion administrative de la copropriété et de l’entretien de ses parties communes, certes, mais la propriété elle-même, ainsi que l’utilisation des unités privatives, concernent chaque copropriétaire individuellement. Avec la définition du mot « propriétaire » de ce règlement, la Ville de Montréal démontre une méconnaissance de la copropriété divise, tout en cherchant à imposer aux syndicats l’entière responsabilité de récupérer les consommations énergétiques de l’immeuble, autant ses parties privatives que communes. Une tâche colossale, dans la plupart des cas. Sans oublier que, dans la plupart des cas, les administrateurs du syndicat sont des bénévoles, déjà aux prises avec une foule de nouvelles obligations. Et on prévoit par surcroît des pénalités en cas de contravention. Chercherait-on une confrontation?
Outre la définition elle-même de « propriétaire », qui laisse songeur, cette approche ne peut que surcharger les administrateurs des syndicats, dont la plupart sont des bénévoles, et qui n’ont par ailleurs pas été consultés en amont de la rédaction du règlement, afin d’établir une procédure qui prenne en compte la réalité des copropriétés. N’aurait-il pas été possible de formuler plutôt une requête aux fournisseurs d’énergie, afin de récupérer les données requises pour établir le portrait global souhaité des émissions de GES ?
Qui plus est, l’approche retenue par la municipalité soulève un autre enjeu très épineux, soit celui de l’accès et de la divulgation de renseignements privilégiés. Rappelons que ceux-ci concernent des informations privées, a priori inconnues du public, lesquelles seraient susceptibles d’influencer l’achat, la vente ou autres actions liées à la valeur de la ressource en question. D’ailleurs, la Ville reconnaît elle-même, dans son Guide d’application, cet enjeu de confidentialité.
La stratégie adoptée par la municipalité dénote une incompréhension, en ce qui a trait aux copropriétés, ce qui en inquiète plusieurs. Le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ) déplore notamment qu’il n’ait pas été consulté par la Ville, avant l’adoption d’une telle approche à l’égard des copropriétés, et compte intervenir afin d’en modifier la teneur, en retirant de la définition de « propriétaire », toute référence aux syndicats de copropriétaires, et en instaurant une cueillette des informations différente à leur égard. Sauf erreur, les données par immeuble lui sont accessibles par l’entremise des fournisseurs d’énergie.
Pour un développement durable réussi
Personne ne met en doute l’impératif devant lequel nous nous retrouvons, face aux bouleversements climatiques. La nécessité de contribuer au renversement de la tendance représente un effort collectif, autant de la part des citoyens que des municipalités et des paliers gouvernementaux supérieurs. L’enjeu ne se situe pas tant au niveau des actions requises pour la transition énergétique, au cours des prochaines décennies, mais plutôt dans la cohésion des démarches mises en place pour y parvenir, leur efficacité et l’accompagnement des parties concernées, à travers les diverses étapes.
Or, qui dit cohésion, dit également prendre en compte la réalité des copropriétés divises et les contraintes auxquelles elles font face. Ceci est d’autant plus important que la densification urbaine apparaît comme une solution fondamentale à l’étalement urbain et ses répercussions environnementales. Pierre angulaire du plan de développement durable de la Ville de Montréal, le réaménagement du territoire doit être réfléchi et discuté en vue de son implantation.
Il est primordial d’inclure les syndicats et les copropriétaires dans les discussions entourant l’élaboration de nouvelles réglementations qui les concernent, afin d’éviter les imprécisions, les erreurs et les motifs de contestation, pour en assurer le succès. Le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ) entend intervenir auprès de la Ville de Montréal, afin de corriger cette malencontreuse situation.
[1] VILLE DE MONTRÉAL, Plan climat 2020-2030, p. 75, [En ligne], [https://portail-m4s.s3.montreal.ca/pdf/Plan_climat%2020-16-16-VF4_VDM.pdf].
[2] VILLE DE MONTRÉAL, Règlement 21-042, Sections II « Définitions », [En ligne], [https://montreal.ca/reglements-municipaux/recherche/61576a39ee486000110b28a7].
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